
FRANCE D’APRÈS : LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE PASSERA PAR LES BANLIEUES

« I can’t breathe » crie la jeunesse métisse outre-atlantique. En France aussi la jeunesse des quartiers étouffe. Elle étouffe quand la police la maltraite. Elle étouffe encore après deux mois de confinement. Elle étouffe plus qu’ailleurs parce qu’elle se sent confinée depuis des décennies, enfermée dans des banlieues qui se ghettoïsent lentement, sans commerce, sans emploi, dans le piège de l’entre-soi. Or, les travailleurs de ces quartiers sont des « essentiels » : s’ils étouffent, la France s’essouffle. Comment utiliser les potentialités de ces quartiers pour relancer la France d’après, et en faire les moteurs de la transition écologique ?
Par leur dynamisme et leur état d’esprit (la Seine-Saint-Denis est le département le plus créateur de projets associatifs et entrepreneuriaux), par leurs compétences (notamment du fait de l’importance des filières d’éducation professionnelle), par leur foncier peu onéreux et par leur réalité géographique (près des métropoles créatrices d’emploi), ces quartiers pourraient être les locomotives d’une France de la transition écologique où l’on relocaliserait les unités de productions de taille intermédiaire qui manquent tant à notre économie et pourraient combler les besoins ordinaires du quotidien de tout un chacun. Mais quelque chose les bloque : l’image que la France leur renvoie.
Le spectre des banlieues
Car on si l’on a bien inoculé un virus à la société française, c’est celui de la peur des banlieues : au moindre sursaut, celles-ci suscitent l’émoi, la polémique. On craint les émeutes urbaines, le terrorisme, les conflits communautaires, et certains redoutaient les révoltes raciales voire des émeutes de la faim ! S’il y a bien un spectre qui hante la France, c’est celui des banlieues. Un spectre qui paralyse les potentialités des quartiers. Mais qui est le reflet de l’abandon de toute velléité de discussion avec le champ médiatique sur la représentation de ces territoires. Ils sont jetés dans une arène médiatique fouettée par un cahier des charges issu des pires recoins du net. Le monde d’avant est toujours en embuscade prêt à retarder l’avènement de celui d’après. C’est d’autant plus préoccupant que les élites, acteurs et influenceurs issus de ces quartiers sont inaudibles ou cantonnés à intervenir sur des thématiques délétères. Cette communautarisation forcée de la parole des quartiers nuit à leur sortie du ghetto. Pourtant, les médias devraient relier, au sens propre. Or, les décideurs ont coupé les ponts avec les médias issus des quartiers qui travaillaient sur ces questions. Ce faisant, ils se sont coupé des relais qui pourraient les aider à mieux connaître ces territoires. Il faut d’abord renouer un dialogue entre médias, institutions et experts médiatiques issus des quartiers.
Fin du monde, fin du mois, fin de la journée
L’affaiblissement et l’éparpillement des corps intermédiaires de ces territoires est le corollaire de la paupérisation des quartiers où ils œuvrent : les associations qui en 2005 organisaient des tours de France pour faire remonter doléances et propositions citoyennes distribuent maintenant des colis alimentaires pour que la jeunesse puisse juste manger le soir même…
Certains craignent la fin du monde, beaucoup la fin du mois. Pour d’autres c’est la fin de la journée qui fait peur. La temporalité n’est pas la même mais une même tendance les réunit : sentiment d’insécurité, d’injustice, avenir bouché. « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés », disait Jean de La Fontaine dans « Les animaux malades de la peste ». Les jeunes des banlieues connaissent maintenant les raisons de leur surmortalité due au Coronavirus. Et, tous savent que quand la crise économique s’abattra, elle les frappera eux d’abord qui sont plus précaires, plus marginalisés. Eux qui, suprême injustice, ont justement été ces premiers de corvée pendant le confinement. Les réactions seront viscérales. L’été sera peut-être chaud, l’automne caniculaire. .
Revenir à l’intuition initiale du candidat Macron
Candidat à la magistrature suprême, Emmanuel Macron avait lancé sa campagne à Bobigny et s’était attiré la sympathie d’une frange non négligeable de la jeunesse la plus dynamique des quartiers, celle qui croit encore en un avenir meilleur, fut-il entrepreneurial. Il avait esquissé d’autres sujets que ceux qui prévalent depuis toujours autour des banlieues (délinquance, émeutes, communautarisme, identité, terrorisme...). Il est navrant de constater à quel point nous avons reculé en nous focalisant à nouveau sur les violences policières, le « séparatisme » ou les statistiques ethniques. On arrive vraiment à l’os des relations entre le pouvoir et cette jeunesse. Quel projet commun construire à partir de ces thèmes ? Plutôt que d’en déboulonner ou au contraire d’en protéger d’anciennes, on pourrait ériger de nouvelles statues qui participent d’un récit partagé.
Refonder un dialogue entre experts issus des banlieues et décideurs
Las ! L’esquisse de « plan banlieue » de Jean-Louis Borloo, une des rares personnalités politiques à avoir à la fois la confiance de beaucoup d’acteurs de ces quartiers et des institutions, a été enterré. La dynamique aussi s’est enlisée au Conseil présidentiel des villes. Faute d’objectif, faute de stratégie et faute de vision commune, témoignage de l’affaiblissement des acteurs des quartiers. Mais surtout du fait de l’entre-soi dans lequel ce type d’instance les relègue une fois de plus. Ce dont ces acteurs ont besoin n’est pas un pré carré où ils seraient confinés avec leurs pairs. L’identité « banlieue » n’est pas suffisamment forte pour les souder, et ils cherchent à sortir de cette identité qui les enferme, en se professionnalisant chacun dans un domaine spécifique. C’est pourquoi ils doivent, chacun dans sa spécialité et conjointement avec les décideurs, ministères et représentants du monde économique et de la société civile, participer à l’élaboration et au suivi de politiques publiques, dans le domaine culturel, économique, social, sportif etc. Pendant près de dix ans, à quelques mètres du Palais présidentiel, l’Ambassade des Etats-Unis a organisé des rencontres de grande ampleur, mettant en lien des leaders et décideurs d’outre-atlantique avec des cohortes d’acteurs des quartiers. Quelle tristesse que la France ne fasse pas de geste dans ce sens...
Pour relocaliser : un smal business act à destination des acteurs de la transition
Hélas, on reste encore dans les vielles logiques : toujours plus d’argent pour l’urbain, toujours moins pour l’humain, les associations et porteurs de projets locaux, économiquement ou socialement innovants, les TPE-PME qui font vivre les territoires au plus proche des besoins des gens.
Pour cela, on doit réfléchir à un small business act, un accès privilégié aux marchés publics pour les acteurs des territoires et à un véritable programme de soutien aux secteurs de l’innovation sociale, culturelle ou entrepreneuriale localisés en banlieue. La Frenh Tech ne fera pas tout. Les talents dans les métiers de la main, du soin ou de la culture pullulent sur ces territoires, ils attendent un appui pour changer d’échelle et répondre aux nécessités d’une politique de relocalisation que l’ensemble de la société française appelle de ses voeux.
Subir ou agir ? Les homo faber de la France d’après
En première ligne pour subir, les banlieues peuvent aussi être en première ligne pour agir, conscientes de leur rôle « essentiel » dans la survie d’un pays qui sans elles, aurait été anémié pendant l’épidémie du Coronavirus. Il s’agit de continuer d’être indispensable en contribuant à la transformation écologique de ce pays. Il faut recréer des liens, des solidarités concrètes, basées sur de l’activité. Une alliance entre les créatifs et les indépendants, forces nouvelles de ces territoires.
Les homo faber du monde de demain sont d’abord au-delà du périphérique. C’est à partir de là qu’il faut relancer l’économie. En 1945, c’est avec les ouvriers que l’on a reconstruit la France. Aujourd’hui, c’est dans les quartiers et dans toutes les périphéries qu’on produit des biens, et c’est là aussi qu’on trouve ceux qui entretiennent les liens (services et aide à la personne). Ces liens « essentiels » pour retisser les fils du tissu social qui relient l’ensemble des îlots d’une société archipélisée. Il n’y aura pas de France d’après si les banlieues restent comme avant.
Farid Mebarki, président de Presse & Cité
Erwan Ruty, directeur du Médialab93
A retrouver sur le site de L'Opinion : https://www.lopinion.fr/edition/politique/farid-mebarki-erwan-ruty-franc...